samedi 20 juin 2015

CHRETIENS ET ECOLOGIE : POURQUOI UNE ENCYCLIQUE ?

Chrétiens et écologie ; la place de l’homme dans la création

En 1967, l’historien américain Lynn White soupçonnait le christianisme d’être à l’origine de la crise écologique contemporaine.


Quarante ans plus tard, les théologiens ont approfondi les questions posées par ces soupçons : l’écologie est-elle une remise en cause de la place de l’homme au sommet de la création ? Le christianisme est-il anthropocentrique ? Que signifie « dominer la terre » ?


« La foule applaudit le garçon agile tout en haut de la pyramide humaine, mais celui-ci ne peut se passer des cinq ou six niveaux d’hommes qui le portent au-dessous ! » Jean-Hugues Bartet utilise spontanément la tradition basque et catalane des « castellers » pour illustrer la place de l’homme dans la Création : au sommet, mais totalement tributaire de toutes les créatures qui l’ont précédé et continuent de le soutenir.Diacre du diocèse de Digne, cet ancien ingénieur forestier ne craint pas, contrairement à certains chrétiens, que l’écologie remette en cause la place de l’homme dans la Création.« C’est à l’homme seul que Dieu a donné la liberté et la conscience lui permettant d’entrer en alliance avec son Créateur. Mais cela ne signifie ni que l’homme soit au sommet, ni qu’il soit au centre : c’est Jésus-Christ qui est au centre de la Création ! », poursuit Jean-Hugues Bartet, également directeur du département Environnement et modes de vie à la Conférence des évêques de France (CEF).« La Bible dit de l’être humain qu’il est créé à l’image de Dieu, mais pas qu’il est au sommet de la Création », précise Fabien Revol, titulaire de la chaire Jean-Bastaire à l’Université catholique de Lyon (lire La Croix du 28 mars).Cependant, ces deux chrétiens engagés en éthique environnementale réfutent fermement les soupçons dont le christianisme est l’objet, depuis l’article de Lynn White sur « Les racines historiques de notre crise écologique », publié dans la revue Science en 1967.


« SOYEZ FÉCONDS, EMPLISSEZ LA TERRE ET SOUMETTEZ-LA
»


Selon ce médiéviste américain, spécialisé dans l’histoire des techniques, l’exploitation et le saccage de la nature auraient été légitimés par le christianisme – « la religion la plus anthropocentrique du monde » –, en particulier par le commandement divin « Soyez féconds, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux de la terre » (Gn 1, 28).À l’époque, cet article eut un retentissement considérable, d’autant qu’il rejoignait la contre-culture hippie.Quarante ans plus tard, les théologiens avancent deux arguments pour répondre à cette accusation. D’abord, le verbe « dominer » (du latin dominus, maître de maison, gérant) est à comprendre comme une« bénédiction divine, engageant la responsabilité de chaque homme pour prendre soin de la terre, la cultiver et la garder », comme le dit Jacques Arnould, théologien et historien des sciences au Centre national d’études spatiales (CNES).Une expression semblable fut utilisée lors du rassemblement œcuménique européen de Bâle (Suisse) en 1989, parlant de l’homme« placé comme protecteur et gestionnaire de la Création ».> Lire aussi : « Laudato si » : la première encyclique du pape sur la préservation de la nature


DIEU, APRÈS LE DÉLUGE, FIT ALLIANCE AVEC « TOUS LES ÊTRES VIVANTS »SORTANT DE L’ARCHE

Second argument : ce n’est pas le christianisme qui a cristallisé le rapport utilitaire à la nature mais les interprétations erronées qui en ont été faites. « Entre le XVI e et le XIX e  siècle, le christianisme occidental a isolé l’homme dans la Création, un peu comme il a isolé l’esprit dans l’homme, ce qui a conduit à un certain mépris de la chair, du naturel », explique Jacques Arnould.« Avec Descartes, on a commencé à imaginer que la nature n’était que matière et cela s’est aggravé avec les Lumières », rappelle de son côté Dominique Bourg, philosophe, enseignant à l’université de Lausanne (1).« Cette philosophie matérialiste a conduit à considérer que la Création n’a de valeur que celle que l’homme lui donne, ce qui est totalement contraire à la Bible », ajoute Fabien Revol, qui aime rappeler que Dieu, après le Déluge, fit alliance avec« tous les êtres vivants » sortant de l’arche.Aujourd’hui, les théologiens se réjouissent donc que l’écologie remette en cause ces interprétations erronées de la Bible et les dichotomies entre corps et esprit ou entre nature et culture qu’elles ont entraînées. « Le mépris du naturel n’a rien de biblique ! », résume Jacques Arnould.« L’accusation de Lynn White visait juste, poursuit Fabien Revol. Car, après le traumatisme de la peste noire dans l’Europe du XIV e  siècle, le christianisme en était arrivé à penser qu’il valait mieux désirer les biens du Ciel puisqu’il n’y avait plus de sagesse immanente dans la Création ! »D’où cet autre reproche adressé au christianisme par certains tenants de l’écologie : avoir désacralisé la nature. « L’Ancien Testament a libéré l’homme de toute crainte et soumission devant ce qui a été créé par le Dieu unique, souligne Jean-Hugues Bartet. Puis la science a expliqué les phénomènes naturels que la pensée médiévale percevait comme des instruments utilisés par Dieu pour châtier les méchants. Ainsi, l’implication de Dieu dans la nature a disparu et l’homme s’est retrouvé tout seul. »

« L’ÊTRE HUMAIN EST APPELÉ À TÉMOIGNER DE L’AGIR DE DIEU DEVANT LES AUTRES CRÉATURES »

Souhaitant réenchanter la nature, les écologistes tombent parfois dans des excès, allant jusqu’à personnifier et diviniser Gaïa et la Nature. Un retour au néo-paganisme que le magistère catholique dénonce (2), invitant plutôt à redécouvrir les concepts franciscains de « Terre mère » ou de « Terre sœur ».« Avec François d’Assise, on peut parler d’une relation fraternelle de l’être humain avec tous ses écosystèmes », souligne Jean-Hugues Bartet. Il rappelle aussi que, puisque Dieu fait alliance avec toutes les créatures vivantes, toutes chantent la louange de leur Créateur et sont donc en relation les unes avec les autres.Le diacre de Digne va plus loin. « La mission de l’homme est de faire de la biosphère une noosphère », lance-t-il, en reprenant le mot créé par le jésuite Pierre Teilhard de Chardin pour désigner la « sphère de la pensée humaine », troisième d’une succession de phases de développement de la Terre, après la géosphère (matière inanimée) et la biosphère (la vie biologique).« Par le fait qu’il est une représentation vivante de Dieu, l’être humain est appelé à témoigner de l’agir de Dieu devant les autres créatures, considère Fabien Revol. Or le Christ a clairement montré qu’être le premier, c’est se faire serviteur, poursuit le théologien. L’homme a donc pour mission de se mettre au service de la Création. »> (Re)lire : Fabien Revol, un inlassable défenseur de la Création


CLAIRE LESEGRETAIN
(1) Le Temps de la Création, sous la dir. de Fabien Revol, Cerf, 399 p., 2015, 24 €.(2) Enjeux et défis écologiques pour l’avenir, document du groupe de travail Écologie et environnement de la CEF, avant-propos de Mgr Marc Stenger, Cerf, 20

Claude Tricoire
bibliothèque diocésaine d'Aix-en-Provence

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