vendredi 6 mars 2015

L’historiographie du Queyras s’enrichit de la Monographie d’Abriès de l’abbé Pierre Berge

En éditant ce texte, Jean-Gérard Lapacherie éclaire l’histoire d’une communauté rurale et de montagne.


Abbé Pierre Berge, Monographie d’Abriès, notes pour une histoire d’Abriès recueillies par l’abbé Pierre Berge, curé d’Abriès, présentations et notes de Jean-Gérard Lapacherie, Val-des-Prés, Transhumances, 2014, 289 p.

Jean-Gérard Lapacherie, agrégé de Lettres modernes, docteur en linguistique et qui a travaillé à l’université de Pau, se fait une spécialité de publier des textes inédits. Ainsi, dans le Bulletin de la Société d’Etudes des Hautes-Alpes de 2013, il a offert le « Journal de l’abbé Chaffrey Martin » (p 189-206, voir ici ce que nous en avons dit ) et dans celui de 2014, les « Souvenirs d’enfance » de l’abbé Paul Guillaume (p 159-168). La Monographie d’Abriès est un texte plus conséquent en volume et, surtout, d’un genre bien différent de l’autobiographie et du journal intime.

L’abbé Pierre Berge, dont la photographie ouvre l’ouvrage (p 4) est curé d’Abriès de 1917 à 1938. Le texte présenté par Jean-Gérard Lapacherie a été rédigé de 1928 à 1932. Il est, enfin, publié. Son intérêt est grand pour l’histoire d’Abriès et du Queyras. 


L’histoire des paroisses, au sens strictement religieux, et de l’Eglise locale, s’enrichit également comme le montre les deux exemples suivants :

  • La liste (p 274) tirée du registre des confréries d’Abriès, conservé aux archives diocésaines, impressionne tant par le nombre parfois important des membres (270 au moins pour la confrérie de la bonne vie et de la bonne mort établie en 1848 ; 520 membres pour la confrérie de l’Immaculée conception créée en 1873) que par la variation : 28 membres seulement pour le tiers-ordre de saint François (1886). Entre 1834 et 1886, ce sont dix confréries qui sont créées dont trois dans les quatre premières années.
  • De même, Jean-Gérard Lapacherie, en publiant (p 186-188) la liste des 28 religieuses originaires d’Abriès ou de parents natifs d’Abriès et ayant prononcé des vœux dans les congrégations de Saint-Joseph ou de La Providence, donne une idée forte de l’attraction de la vie congréganiste au XIXe siècle, y compris dans une communauté de montagne où la présence du protestantisme est symbolique, avec quatre familles au Roux et à Abriès sur un peu moins de 500 habitants en 1922 et de 1204 habitants en 1872 (p 26). L’abbé Berge est bien le témoin de l’exode rural (p 8). Sur la question des congrégations religieuses féminines au XIXe siècle, il est nécessaire de consulter, pour toute étude sérieuse, Claude Langlois, Le Catholicisme au féminin, les congrégations françaises à supérieure générale au XIXe siècle, Paris, Le Cerf, 1984, 776 p.


Le livre aurait mérité une mise en page différente, distinguant le texte original de l’abbé Berge et celui des ajouts postérieurs, ne mêlant pas en bas-de-page les notes de l’abbé Pierre Berge et celles de Jean-Gérard Lapacherie. Un index et une bibliographie raisonnée sont, évidemment, d’une grande utilité pour un tel ouvrage. Jean-Gérard Lapacherie a su s’extraire de l’anecdotique, écueil pas toujours évité dans ce type de publication, pour tenir un propos scientifique dans le glossaire (p 275-285). Les définitions sont puisées dans les dictionnaires adéquats (ceux de l’Académie française de 1694 et 1762, celui d’Emile Littré, le Trésor de la langue française) et contextualisés par une bibliographie locale et pertinente. Le lecteur saura que le binage est la célébration de « deux messes le même jour dans deux lieux différents » par un même prêtre (p 276) et que la pente est une « bande d’étoffe étroite disposée horizontalement autour […] d’un dais […] » (p 282).

« On peut facilement retrouver, relégués dans les débarras de nombreuses églises ou d’anciennes maisons des Hautes-Alpes, de vieux livres de pénitents de ND de Gonfalon […] » écrit l’abbé Emilien Tempier dans un ajout à la page 272. Il a été curé d’Abriès de 1963 à 1969. Il est curieux qu’un prêtre des années 1960 considère que ces livres, appartenant à une confrérie d’Eglise, puissent être rangés dans un débarras et non à la sacristie ou au presbytère. Pourtant, les confréries étaient placées sous la responsabilité spirituelle du curé dans les statuts synodaux du diocèse de Gap de 1960. Le court passage dû à la plume du père Tempier est à rapprocher de l’explication donnée par Jean-Gérard Lapacherie sur les versions tapuscrites ou numérisées de la Monographie d’Abriès (p 6). Le texte de l’abbé Berge, écrit par un curé es-qualité, est une propriété de l’Eglise paroissiale, relevant des « autres documents dont la conservation est utile » (canon 535 § 4 du Code de droit canonique). Ni l’abbé Berge ni ses successeurs n’avaient le droit d’en dessaisir la paroisse au profit d’une quelconque personne morale ou physique, personne n’avait le droit de le prendre sans autorisation, au risque d’en priver à la fois le propriétaire légitime et la recherche, qu’elle soit historique, sociologique ou théologique.

Luc-André Biarnais
Archiviste du diocèse de Gap et d’Embrun

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