mercredi 15 octobre 2008

FICHE THEMATIQUE 6

HYMNE AU CHRIST ABAISSE ET GLORIFIE



Lettre de Saint-Paul aux Philippiens (2,6-11)










LE TEXTE :

Lettre aux Philippiens 2, 1-11


Exhortation
Hymne
abaissement
elévation

2,1 S'il y a donc un appel en Christ,
un encouragement dans l'amour,
une communion dans l'Esprit,
un élan d'affection et de compassion,
2 alors comblez ma joie en vivant en plein accord.
Ayez un même amour, un même coeur; recherchez l'unité;
3 ne faites rien par rivalité, rien par gloriole,
mais, avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous.
4 Que chacun ne regarde pas à soi seulement, mais aussi aux autres.
5 ayez en vous les sentiments qui furent aussi en Christ Jésus.



6 Lui qui est de condition divine
n'a pas considéré comme une aubaine d'être à l'égal de Dieu.
7 Mais il s'est vidé lui-même,
prenant la condition d'esclave;

devenu semblable aux hommes,
et, reconnu à son aspect comme un homme,
8 il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort,
oui, à la mort sur une croix.

9 C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé
et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom,
10 afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse,
dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
11 et que toute langue confesse
que le Seigneur, c'est Jésus Christ,
à la gloire de Dieu le Père
[1].


[1] Traduction TOB, modifiée PB


FICHE DE TRAVAIL POUR LES PARTICIPANTS


I - POUR LIRE

Un appel vibrant à l'unité par le chemin de l'humilité

L'épître aux Philippiens est à la fois une lettre d’amitié et une lettre d’exhortation et de réconfort. Paul est prisonnier à Ephèse, en prison préventive, sans doute parce que le mouvement chrétien, qui se développe dans la ville et au-delà, peut paraître subversif de l’ordre de la cité. Paul peut cependant recevoir des visiteurs et même dicter des lettres. Comme il a reçu de l’argent de la part des Philippiens, il envoie une lettre de remerciement (4, 10-20). Par les allées et venues de chrétiens entre Philippes et Ephèse, il est tenu au courant de la vie de cette communauté ecclésiale des Philippiens, qui lui est particulièrement chère. Il donne de ses nouvelles et il en reçoit. Il fait part de ses angoisses et de son espérance. Sera-t-il condamné, sera-t-il libéré ? Peu importe, pourvu que le Christ soit glorifié ; mais il espère bien être acquitté et être rendu à ses amis et à sa tâche apostolique (1, 12-26).

Quant aux nouvelles de Philippes, elles sont bonnes dans l’ensemble. Il y a cependant deux points qui préoccupent l’apôtre : les pressions extérieures et quelques rivalités internes. Pressions extérieures (1,27-30) de la part des opposants à la foi chrétienne : Philippes est une colonie romaine, où il importe de faire allégeance à l'empereur, mais les croyants ne peuvent se rallier au culte impérial. Cela leur vaut des avanies ; ils doivent « combattre » pour se maintenir fidèles à l'Évangile ; qu’ils ne se laissent pas laisser intimider (1,28), mais considèrent comme une grâce non seulement de croire au Christ, mais de souffrir pour lui (1,29-30). Rivalités internes : deux chrétiennes, très engagées dans l’annonce de l’Evangile (4,2-3) sont invitées à s’accorder plutôt qu’à créer des pôles d’influence concurrents.

Ce constat nous mène tout droit à un thème majeur de la correspondance de Paul avec les Philippiens : ils ne pourront résister aux pressions extérieures que s'ils vivent dans l'unité à l'intérieur (1, 27- 30). Or l’unité n’est pas possible sans humilité, disposition à laquelle le milieu romain est particulièrement allergique. C'est donc pour soutenir cette exhortation à l'humilité, condition indispensable de la communion et de l'unité, que Paul va dresser devant eux « l'exemple » du Christ.

L'exemple du Christ

L'hymne au Christ qui s'est abaissé jusqu'à la mort de la croix et que Dieu a glorifié (Philippiens 2, 6-11) est l'un des passages les plus célèbres et les plus beaux de tout
le Nouveau Testament. Il pourrait être un chant des premières communautés chrétiennes que Paul aurait repris et adapté à son propos dans sa lettre aux Philippiens. Il l'aurait seulement marqué de sa griffe personnelle, en ajoutant à « obéissant jusqu'à la mort »: «oui, la mort de la croix ». Cela est assez vraisemblable, mais reste discuté. L'essentiel est qu'il ait été pris en compte par Paul dans sa lettre aux Philippiens, comme exprimant sa propre pensée. De cet abaissement volontaire du Christ, il a voulu faire un « exemple » pour la communauté chrétienne de Philippes. C'est pourquoi il faut lire cet hymne en étroite articulation avec l'exhortation à l'unité et à l'humilité qui le précède et qui l'introduit : « ayez en vous les dispositions intérieures qui furent aussi celles de Jésus-Christ (2, 5). Lui qui, étant de condition divine, etc ... » (2, 6-11).


I – Abaissement (6-8)

A - Le Christ, de condition divine, s'est fait esclave (6-7) :
Ø négativement : renoncement à être traité à égalité avec Dieu (6)
Ø positivement : il « s'est vidé » lui-même en assumant la condition d'esclave (7ab)

B - Il s'est fait obéissant : progression dans l'abaissement :
Ø vie humaine semblable à celle de tout humain (7bc)
Ø assimilation jusqu'à l'extrême « il s'est abaissé » lui-même jusqu'à la mort, et la mort sur une croix.

II – Elévation ( 9-11)

A - Exaltation (9a)
B - Don du Nom (9b)
A' - Adoration par toute la création (10)
B' - Proclamation du Nom (11)


¨Textes des Ecritures (A.T.) : Citations (implicites et explicites) des Écritures

* Isaïe 53,53 : Le Serviteur de YHWH abaissé et glorifié
Contraste stupéfiant entre l’abaissement et la glorification
52-13 Voici que mon Serviteur réussira, il sera haut placé, élevé, exalté à l'extrême.
14 De même que les foules ont été horrifiées à son sujet - à ce point détruite, son apparence n'était plus celle d'un homme, et son aspect n'était plus celui des fils d'Adam -, 15 de même à son sujet des foules de nations vont être émerveillées, des rois vont rester bouche close, car ils voient ce qui ne leur avait pas été raconté, et ils observent ce qu'ils n'avaient pas entendu dire.
Le Serviteur s’est dépouillé de sa vie, c'est pourquoi il reçoit les multitudes en héritage. Comparez avec Ph 2, 7.8.9

* Isaïe 53,12 : C’est pourquoi je lui taillerai sa part dans les foules, et c'est avec des myriades qu'il constituera sa part de butin, puisqu'il s'est dépouillé lui-même jusqu'à la mort et qu'avec les pécheurs il s'est laissé recenser, puisqu'il a porté, lui, les fautes des foules et que, pour les pécheurs, il vient s'interposer.

* Isaïe 45 : Dieu caché, puis révélé : le Seigneur (YHWH) annonce que lui, qui était un Dieu caché (Is 45, 15) à travers l'exil de son peuple, se révèlera à toutes les nations et sera glorifié par tous (tout genou, toute langue) ; comparer avec Ph 2,10-11.

* Isaïe 45, 22 : Tournez-vous vers moi et soyez sauvés,
vous, tous les confins de la terre,
car c'est moi qui suis Dieu, il n'y en a pas d'autre.
23 Sur moi-même, j'ai prêté serment
de ma bouche sort ce qui est juste, une parole irréversible :
«Devant moi tout genou fléchira
et toute langue prêtera serment :
dans le SEIGNEUR seul, dira-t-on de moi,
résident la justice et la force.



II - ET MAINTENANT AU TEXTE


Quelle correspondance pouvez-vous trouver entre l'exhortation de Paul en
2, 1-4 et « l'exemple » du Christ qu'il donne en 2, 6-11 ?

L'abaissement du Christ (2, 6-8) :
° qui est le sujet des verbes de cette première partie ?
° en quoi consiste cet abaissement ?
° relevez ce que vous comprenez et ce qui vous reste obscur. Le texte établit-il une progression dans les abaissements du Christ ? Si oui, laquelle ?

L'élévation du Christ (2, 9-11)
° Qui est le sujet des verbes de cette seconde partie ?
° Quelle est la portée du « c'est pourquoi », qui ouvre la seconde partie ?
° Repérez les contrastes dans les figures et dans le vocabulaire lui-même entre la phase d'abaissement et la phase d'élévation

Pour poursuivre votre recherche :

§ Retrouvez-vous dans les évangiles synoptiques et dans le IVème évangile cette même figure paradoxale du Christ conscient de sa dignité et qui pourtant s’abaisse ? du Christ élevé sur le lieu-même de son abaissement ?

§ En quoi la glorification du Crucifié importe-t-elle à la révélation de Dieu ? Dieu est-il le même avant et après la Croix ?



III - PISTES POUR ACTUALISER

1. « Ayez en vous-mêmes les sentiments qui furent ceux du Christ Jésus » : Paul proposait cet hymne au Christ pour inviter à l'humilité comme chemin d'unité :
quelle vous paraît être l'actualité de cette démarche, dans nos rapports mutuels dans nos relations ecclésiales, oecuméniques, dans la société civile ?

2. « C’est Jésus-Christ qui est Seigneur » :
En quoi le bouleversement de l'image de Dieu que présente ce texte nous aide-t-il à annoncer l'Évangile aujourd'hui ?




IV - PISTES POUR LA PRIERE

Un refrain pour ouvrir le temps de prière :
« Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ, Alléluia ! »
(A. Gouzes)


Un chant : Jésus Christ est Seigneur - A. Gouzes n° 124 Abbaye Sylvanès

Jésus, qui était de condition divine
Ne retint pas jalousement
le rang qui l’égalait à Dieu.

Mais il s’anéantit lui-même,
prenant la condition d'esclave ;
devenant semblable aux hommes.
A son aspect reconnu pour un homme,
Il s’humilia plus encore,
devenant obéissant jusqu'à la mort,
et la mort sur une croix.

C'est pourquoi Dieu l'a exalté
et lui a donné le Nom
au-dessus de tout nom.

Afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse,
au ciel, sur terre, et aux enfers,
et que toute langue proclame :
Jésus Christ est Seigneur,
à la gloire du Père


Un texte biblique : 2 Co 8, 9 :
«Vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ :
lui qui était riche,
il s'est fait pauvre à cause de vous,
pour que vous, par sa pauvreté,
vous deveniez riches ».


Introduction au Notre Père : C’est l’Esprit-Saint qui met en nous les sentiments du Christ. Que ce soit lui qui nous inspire tandis que nous reprenons la prière de Jésus à son Père :


NOTRE PERE



FICHE DE TRAVAIL POUR LES ANIMATEURS



V - QUELQUES CLES DE LECTURE

1 – Pas d'unité sans humilité (2,1-5)
La communauté de Philippes est exposée aux agressions qui viennent de l'extérieur ; pour y résister dans la foi et pour mener le combat de l'Évangile, Paul l'exhorte à vivre la concorde à l'intérieur (1, 27- 30). Il reprend cette exhortation en s'appuyant avec un certain lyrisme sur l'expérience que ces nouveaux croyants ont déjà de la chaleur, du réconfort, de l'amitié, de la communion vécues dans leur communauté comme dans toute Église digne de ce nom : 1- réconfort ou exhortation que l'on reçoit les uns des autres « en Christ Jésus », - c'est-à-dire en toute communauté qui vit du Christ Jésus ; 2- encouragement qui provient de l'agapè (amour fraternel qui prend source en Dieu) ; 3- « communion » d'esprit qui vient de l'Esprit; 4 - tendresse et compassion ...
Les communautés ecclésiales fondées par Paul veulent être effectivement le lieu de tout cela, et elles le sont (1 Co 12, 26; 1Th 5, 14-15). Si cela existe, dit Paul, au milieu de ce monde de rivalité, d'orgueil et de violence – alors « portez ma joie à son comble ». Ce n'est pas une manière de dire : « faites-moi plaisir », car la joie de Paul, si marquée dans l'épître aux Philippiens[2], est de voir fructifier l'œuvre du Christ jusqu'au Jour de sa Venue (1, 11. 25-26).

Mais cette unité ne peut être vécue que dans l'humilité. Paul le rappelle en accord avec la catéchèse des origines (Ph 2, 3; Col 3, 12; Ep 4, 2; Rm 12, 10; 1Pi 5, 5). L'humilité est une valeur chrétienne qui tranche sur les comportements prisés dans la société gréco-romaine, où c'est à qui s'imposera, fût-ce par l'écrasement et l'humiliation des autres. Appartenir à l'élite est un honneur, une « gloire » ; être en bas de l'échelle sociale est méprisable. Cet esprit de rivalité et de « vaine gloire » peut pervertir les relations ecclésiales (cf. 1 Co 4, 6). C'est contre cela que Paul fait entendre ses appels aux v 3-4. L'antidote est de considérer les autres comme supérieurs à soi. On peut comprendre : comme « meilleurs » que soi, moralement parlant; on peut comprendre aussi comme « ayant priorité sur soi »; de fait Paul termine sur l'invitation à s'oublier soi-même pour chercher d'abord le bien de l'autre (v 4). Il ne s'agit donc pas d'une humilité dépressive ou pathologique, qui n'aurait rien d'estimable ni d'évangélique, mais d'un abaissement de soi pour faire à l'autre toute la place qui lui revient.

Cet appel à l'humilité est formulé de manière à préparer l'appel que Paul va faire à l'exemple du Christ. Bien loin de revendiquer quelque supériorité sociale, en vertu de son origine divine, le Christ Jésus s'est mis à la dernière place, à la place la plus humble et la plus humiliante qui soit dans la société de ce temps. C'est sous cet aspect que l'hymne de Ph 2, 6-11 contemple la croix du Christ[3].





2 -L'abaissement volontaire du Christ (2,6-8)
La première partie de l'hymne (v 6-8) a pour sujet le Christ Jésus (5). C'est lui qui agit tout au long de cette première partie. Ainsi est souligné l’engagement personnel du Christ dans la manière de vivre et de mourir qui a été la sienne. La seconde partie de l’hymne aura « Dieu » pour sujet : au Christ l’acte de s’abaisser, à Dieu le Père l’acte de le glorifier.
«Lui qui...» : l’hymne est rattachée au Christ mentionné à la fin de l’exhortation précédente (v. 5), c’est-à-dire au Christ en sa vie terrestre et aux sentiments qui furent en lui à ce moment-là ; cela invite à penser que Paul a sous le regard, non pas le Verbe éternel comme dans le Prologue du IVème évangile, mais le Christ incarné. L’abaissement envisagé n’est pas l’incarnation, mais le mode d’existence humaine que le Christ a vécu, tout Fils qu’il était (de condition divine).

« étant de condition divine », « il a pris la condition d’esclave »

Pour faire saisir le renoncement à lui-même, le texte oppose ce qui le caractérise de par son origine, de par son être permanent, et ce qu'il a donné à voir dans son histoire humaine : d'un côté « les traits de Dieu »; de l'autre « les traits de l'esclave ». On traduit souvent : « étant de condition divine », « il a pris la condition de serviteur »[4]. Le Christ Jésus est [5] - et n'a jamais cessé d'être - celui qui peut revendiquer la condition divine, et pourtant il a pris la condition d'esclave; la traduction « esclave » est plus exacte et plus expressive du contraste que « serviteur », qui peut être un titre d'honneur (« serviteur de Dieu »). 2,9-11)C'est précisément cette condition d'esclave qui va trouver sa plus haute expression au v. 8 (situation de crucifié, supplice réservé aux esclaves et aux séditieux).

Le sens n'est pas : « Lui qui était Dieu, il s'est fait homme », même si cela est vrai ; mais ne plaquons pas sur ce texte de Paul la théologie johannique du Verbe qui s'est fait chair ; respectons sa perspective propre. « Prendre la condition d'esclave » ne veut pas dire « devenir homme ». Il s'agit de donner le Christ en exemple d'humilité aux chrétiens. Quand Paul veut donner le Christ en exemple aux chrétiens (cf. Rm 15, 3.7-8; 1Co 11, 1; Ep 5, 1-2.25), il ne se réfère jamais au Christ préexistant, mais au Christ dans sa vie terrestre, le seul que l'on ait vu et qui peut être un exemple. Or ce qui frappe après coup, c'est que ce Christ qui est de condition divine, a choisi de mener sa vie humaine de manière bien différente de celle à laquelle il pouvait prétendre: bien qu'il soit de condition divine, il a pris la condition d'esclave. Certes on peut penser que la préexistence divine du Christ auprès de Dieu est impliquée, mais là n'est pas le point d'attention de Ph 2 : ce qui lui importe, c'est, dans l'histoire humaine du Christ Jésus, le contraste entre ce qu'il est de plein droit (quelqu'un qui émarge à l'être même de Dieu) et le type de vie humaine qui a été la sienne, et cela en vertu d'un libre choix : il ne s'est pas arrogé quelque privilège que ce soit.

« il s'est vidé lui-même ... il s'est abaissé lui-même »

C'est à ce renoncement que renvoie, au v. 6, la formule : « il n'a pas considéré comme une aubaine d'être (traité) à l'égal de Dieu ». Il aurait pu profiter de sa condition divine pour échapper aux limites de la condition humaine (oppositions, humiliations, échecs, finalement la mort). Non, mais « il s'est vidé lui-même » (7a).
Ne cherchons pas bien loin en quoi cela a consisté, le texte le dit aussitôt : précisément « en prenant la condition d'esclave ». Il n'a pas perdu son être divin, il n'a pas cessé d'être ce qu'il est depuis toujours en Dieu, mais il n'en a pas laissé voir les traits en son existence humaine[6]. Il n'a pas cherché à s'imposer, à se faire servir; il s'est vidé de son importance sociale (cf. Lc 22, 27 : Je suis au milieu de vous comme celui qui sert »; Jn 13, 14 : Maître et Seigneur, Je (le)- Suis, et pourtant je vous ai lavé les pieds, comme le fait l'esclave de la maison).

Le texte rebondit sur ce renoncement : se dépouillant de tout privilège, il a été semblable aux hommes et il a été reconnu tout à fait comme un homme : il en avait le comportement et la réalité (7b). La progression du texte (v. 8) pousse jusqu'à l'extrême cette assimilation à la condition humaine la plus humble qui soit : « il s'est abaissé lui-même en étant obéissant jusqu'à la mort, oui la mort sur une croix ». « Il s'est abaissé lui-même » ( v 8) reprend « il s'est vidé lui-même » (v 6). Dans les deux cas est souligné l'engagement volontaire, cela ne lui a pas été imposé de l'extérieur, c'est bien lui qui s'est mis dans cette situation où il serait conduit jusque là. Il a vécu cela comme un acte d'obéissance ; c'est justement ce qui convient à « la condition de l'esclave » : un esclave ne commande pas, il obéit. Le texte ne dit pas à qui il a ainsi obéi, mais cela ne peut être qu'à Dieu seul. Il ne dit pas non plus en quoi, d'aller jusque là, était vécu comme un acte d'obéissance au dessein de Dieu. Saint Paul le dit ailleurs: il a été le Fils obéissant de Dieu qui n'avait rien de plus à cœur que de manifester jusqu'à quel point Dieu aimait les hommes et voulait les sauver, fût-ce au prix de la vie de son propre Fils (Rm 8, 31-32). Mais ne demandons pas à cette hymne de nous dire toute la christologie de Paul. L'accent est mis ici sur le contraire d'un faire-valoir de soi-même : Christ n'a pas régenté, il a obéi.

«Jusqu'à la mort : oui, la mort sur une croix»

L'expression de l'abaissement est renforcée par une figure de style, qui porte la marque de Paul : la mort : oui, la mort sur une croix. Mourir fait partie de la condition humaine ordinaire; mais mourir sur une croix est le lot le plus ignominieux. L'accent n'est pas sur la souffrance, mais sur la honte. Son caractère horrible et dégoûtant est à l'origine du silence dont on devait l'entourer dans les conversations polies du monde romain[7]. Paradoxe, le supplice des rebelles et des révoltés a été infligé à celui-là seul qui était parfaitement obéissant.
La première partie de l'hymne est arrivée au terme indépassable de l’abaissement auquel le Christ s'est volontairement soumis. Mais la croix est le pivot qui fait tout basculer : « Voilà pourquoi ... » : maintenant l'initiative est à Dieu ; maintenant Christ reçoit.

3 – L'élévation du Crucifié (2,9-11)La réponse de Dieu à l'abaissement du Christ est 1°- de le « sur-élever »; 2°- de lui « donner le Nom qui est au-dessus de tout nom ». Il ne s'agit pas de deux choses différentes, mais de deux aspects de la même glorification. Le texte n'emploie pas le langage de résurrection, mais il va droit à ce qui en est le cœur et le sens : l'élévation auprès de Dieu, dite au moyen d'un excès (Dieu l'a « super-exalté ») qui répond à l'excès d'obéissance et d'abaissement. La réponse de Dieu est gratuite, mais elle correspond à la démarche du Christ. Il n'y a pas simple succession de la croix et de la gloire; mais la gloire découle de la croix, au point qu'elle en révèle le sens.


(a) l'élévation : de même que « la condition d'esclave » renvoyait à une image sociale, l'élévation prend la forme d'une reconnaissance publique, et cela de la part de toute la création. L'hymne le dit en appliquant au Christ glorifié ce que la prophétie d'Isaïe disait de Dieu, qui serait enfin reconnu par les nations et par tout l'univers (Is 45, 22-23). C'est une manière indirecte, mais scripturaire, de dire la divinité du Christ. Ce qu'il n'avait pas revendiqué comme base d'un privilège lui est maintenant reconnu universellement. Le « genou » et la « langue » représentent l'être tout entier en acte d'hommage et de proclamation.

(b) Le Nom au dessus- de tout nom ne peut être que le Nom divin. Le texte le tient en suspens jusqu'à la fin de l'hymne : « Jésus Christ est SEIGNEUR ». Le titre de « Seigneur » est le Nom divin dans l'Écriture; il est la traduction de l'hébreu YHWH (qui n’était pas prononcé, par respect). Ce n'est pas que le Christ soit devenu « Dieu » en cette élévation, mais Dieu lui donne d'être reconnu et confessé comme tel. Le Nom est l'expression de la personne dans la relation à autrui. Le fait qu'il soit conféré au Crucifié amène à le réinterpréter : c'est celui qui s'est à ce point vidé de lui-même, au lieu de faire l'important, pour partager l'existence de l'humain jusqu'au plus bas de l'échelle sociale, qui reçoit en vérité le Nom et lui donne sa vérité ultime. Seule la gloire de ce Crucifié dit qui est Dieu. Dieu n’est plus le même avant et après la croix (du moins dans la connaissance qui nous en est donnée)[8]. Évidemment ce n'est pas l'abaissement en lui-même, ni la croix matériellement prise, qui servent de chemin vers cette révélation, mais l'abaissement et la croix en tant que fruit d'un choix qui est renoncement à soi. L'ensemble des épîtres de Paul et du NT qualifient ce choix par l'obéissance et l'amour : tout est dans la relation à l'Autre, dans le don et non dans l'appropriation. C'est pourquoi même dans la gloire le Christ reste décentré de lui-même: il reçoit l'hommage de toute la création « à la gloire de Dieu le Père » .


VI- POUR ALLER PLUS LOIN

Textes apparentés dans le N.T. :

* Le texte de la seconde lettre aux Corinthiens offre la même antithèse que Ph 2, 6-11, dans un langage métaphorique : « riche / pauvre » qui correspond à l'antithèse (plus radicale) « condition divine /condition d'esclave »; même insistance sur l'engagement volontaire du Christ dans le renoncement à soi. Mais il y manque l'antithèse abaissement/ élévation du Christ. Par contre le texte de la seconde lettre aux Corinthiens mentionne avec insistance la dimension salutaire de l'abaissement : « à cause de vous », « pour que vous, par sa pauvreté, vous deveniez riches ». Le « pour vous » si cher à Paul quand il évoque la Croix retrouve ici toute sa place, appelé par le propos de la collecte en faveur des frères dans le besoin.

* Les évangiles synoptiques (Mc 10, 45- 46 // Mt 20, 24-28; Lc 22, 24-27) soulignent la prise de distance de Jésus à l'égard des conceptions messianiques traditionnelles et de l'exercice du pouvoir chez les nations: non pas se faire servir, mais servir et donner sa vie en rançon pour la multitude; et cela est aussi donné comme chemin à emprunter par les disciples ; remarquer l'emploi du mot « esclave » ( Mc 10, 45 // Mt 20, 27).



* Le IVème évangile souligne le même paradoxe que Ph 2, 6-7 : c'est « le Maître et Seigneur », qui se dépouille de son vêtement et qui prend la tenue de l'esclave, dans l'acte de laver les pieds, ce qui est l'annonce de la croix (Jn 13). Comme en Ph 2, le comportement de Jésus est un exemple pour les disciples ( Jn 13, 15), mais sa portée reste plus large que l'exemple (Jn 13 8), de même que l'hymne de Ph 2, 6-11 dépasse la proposition de l'imitation du Christ.

Le IVème évangile, lui aussi, articule étroitement la Croix et la Gloire : ce n'est pas seulement la Croix et la Gloire, mais la Gloire de la Croix. Jésus meurt « élevé » sur la croix, ce qui est le premier pas vers l'élévation en gloire ( Jn 12, 32). C'est aussi à partir de la Croix que l'on sera amené à confesser que Jésus peut revendiquer le « Je-Suis » de la révélation divine (Jn 8, 28).


Relectures possibles de textes de l'A.T. :

On a cherché à lire Ph 2, 6-11 en référence :

* au IVème Chant du Serviteur (Is 52-53) :

Ø même itinéraire de l'abaissement à la glorification ; même contraste de super-abaissement (sous-humanité du Serviteur Is 52, 14;53, 2-3) et de super-exaltation (Is 52 13)

Ø même langage du dépouillement de soi-même (53, 12) ; mais le langage n'est pas aussi fort qu'au sujet du Christ (« se vider soi-même »); le Serviteur est plus abaissé qu'il ne s'abaisse ; mais le IVème chant souligne la dimension salvifique de la solidarité du Serviteur, trait absent de Ph 2, 6-11. Par contre, le Serviteur ne reçoit pas le Nom qui est au-dessus de tout nom.

* au récit de la transgression d'Adam (Gen 3) :

Ø des humains veulent s'approprier la condition divine (vous serez comme des dieux) ; celui qui est réellement de condition divine a renoncé à être traité à l'égal de Dieu, mais c'est pour cela qu'il reçoit le Nom qui est au-dessus de tout nom.


[1]Le texte grec prête à des traductions différentes, dues souvent à l'influence de positions théologiques. La traduction retenue ici est celle de la TOB, légèrement modifiée pour être plus littérale; la structuration en deux parties, abaissement / élévation, est généralement retenue; à l'intérieur de la 1ère partie (abaissement), la manière de couper le texte est discutée; celle qui a été retenue ici a de bonnes bases stylistiques.
[2]Joies humaines de l'amitié, des fins d'épreuves, joie de la proximité du jour du Seigneur : 1, 18; 2, 17.18.28; 3,1; 4,4.10
[3] Ce point de vue peut expliquer le silence de cette « hymne » sur la valeur salutaire de la croix (Christ mort pour nous). Tout est polarisé sur le rythme abaissement de soi / glorification par Dieu. Cela peut tenir aussi au fait que Paul cite et utilise dans un but d'exhortation une hymne qui avait déjà sa facture propre
[4] En effet le terme grec sous-jacent (« morphè », « forme ») n'indique pas directement l'essence, la nature, mais ce qui apparaît de quelqu'un dans son inscription sociale, en conformité certes avec la réalité, mais dans ce qui le caractérise dans sa manière d'être perçu par d'autres.
[5] Le verbe grec est au présent, qui indique la permanence.
[6] Pour éclairer ce dont il est question, le Fils aurait pu vivre une transfiguration permanente; c'est seulement de manière exceptionnelle que sur la montagne il a été transfiguré devant trois disciples; ensuite, et c'est la situation « normale », « ils ne virent plus que Jésus seul » ( Mc 9, 8)
[7]Cela prend encore plus de relief dans cette lettre écrite à Philippes qui est une colonie romaine.
[8] Cf. l’ouvrage du P. VARILLON, L’humilité de Dieu.

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