mercredi 15 octobre 2008

FICHE THEMATIQUE 4

LE MESSAGE DE LA CROIX


1ère lettre de Saint-Paul aux Corinthiens (1,10-2,5)












LE TEXTE :

Première lettre aux Corinthiens 1,10-2,5

Divisions à Corinthe

1 Co 1-10 Je vous exhorte, frères, au nom de notre Seigneur Jésus Christ : soyez tous d'accord, et qu'il n'y ait pas de divisions parmi vous ; soyez bien unis dans un même esprit et dans une même pensée. 11 En effet, mes frères, les gens de Chloé m'ont appris qu'il y a des discordes parmi vous. 12 Je m'explique ; chacun de vous parle ainsi : «Moi j'appartiens à Paul. - Moi à Apollos. - Moi à Képhas. - Moi à Christ.» 13 Le Christ est-il divisé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? 14 Dieu merci, je n'ai baptisé aucun de vous, excepté Crispus et Gaïus; 15 ainsi nul ne peut dire que vous avez été baptisés en mon nom. 16 Ah si ! J'ai encore baptisé la famille de Stéphanas. Pour le reste, je n'ai baptisé personne d'autre, que je sache. 17 Car Christ ne m'a pas envoyé baptiser, mais annoncer l'Évangile, et sans recourir à la sagesse du langage, pour ne pas réduire à néant la croix du Christ.

Le message de la croix

18 La parole de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent,
mais pour ceux qui sont en train d'être sauvés, pour nous, il est puissance de Dieu.
19 Car il est écrit:
Je détruirai la sagesse des sages et j'anéantirai l'intelligence des intelligents.
20 Où est le sage ? Où est le docteur de la loi ? Où est le débatteur de ce monde ?
Dieu n'a-t-il pas rendue folle la sagesse du monde ?
21 En effet, puisque, dans la Sagesse de Dieu,
le monde par la sagesse n'a pas connu Dieu
Dieu a jugé bon, par la folie de la proclamation, de sauver ceux qui croient.
22 Les Juifs demandent des signes, et les Grecs recherchent la sagesse ;
23 mais nous, nous proclamons un Messie crucifié,
scandale pour les Juifs, folie pour les nations,
24 mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs,
il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu.
25 Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes,
et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.



La naissance de l'Eglise

26 Regardez, mes frères, comment vous avez reçu l'appel de Dieu :
il n'y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes,
ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonne famille.
27 Mais ce qui est folie dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre les sages ;
ce qui est faible dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre ce qui est fort ;
28 ce qui dans le monde est vil et méprisé, ce qui n'est pas,
Dieu l'a choisi pour réduire à rien ce qui est,
29 de sorte que personne ne puisse faire le fier devant Dieu.
30 C'est grâce à Lui que vous êtes en Christ Jésus,
qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et délivrance, 31 afin, comme il est écrit, que le fier mette sa fierté dans le Seigneur.


Le ministère apostolique

2-1 Moi-même, quand je suis venu chez vous, mes frères, ce n'est pas avec le prestige du langage ou de la sagesse que je suis venu vous annoncer le mystère de Dieu. 2Car j'ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. 3 Aussi ai-je été devant vous faible, craintif et tout tremblant : 4ma parole et ma prédication n'avaient rien des discours persuasifs de la sagesse, mais elles étaient une démonstration d'Esprit, de puissance, 5afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu
[1].






FICHE DE TRAVAIL POUR LES PARTICIPANTS


I - POUR LIRE

Que se passait-il donc ?

Paul séjournait à Ephèse dans les années 53-56. Il y avait ouvert un nouveau champ apostolique. Mais en même temps il restait en contact par lettres, ou par visites avec les Églises qu'il avait fondées pendant le voyage missionnaire précédent ; en particulier il avait beaucoup d'échanges avec l'Église de Corinthe, fondée en 50-51. Nos deux lettres aux Corinthiens sont le recueil de cette correspondance. Au début de la Première, Paul fait état de nouvelles reçues par le personnel d'une commerçante (dame Chloé), qui navigue entre Corinthe et Ephèse. On lui apprend que dans l'Église de Corinthe on s'entredéchire entre partisans de tel ou tel prédicateur de l'Évangile. Les uns se déclarent pour Paul, les autres pour Képhas (= Pierre), d'autres encore pour un certain Apollos, et peut-être y a-t-il un quatrième courant qui se dit « du Christ » (pas moins ! cf. 2Co 10, 7).

Un discours à l'emporte-pièce !

Quelle mouche l'a piqué, l'apôtre Paul ? Il dit son indignation devant ce culte de la personnalité, incompatible avec le sens authentique de l'Évangile. Qui donc pourrait exhiber son importance devant Jésus crucifié, qui est le cœur de l'Évangile ? Dans les coteries corinthiennes, il y allait du sens de l'Évangile. Alors Paul est capable de monter au plus haut niveau d'éloquence pour réduire à néant l'éloquence. L'Evangile n'est pas matière à discours, il est l'annonce provocante d'un événement, que rien ni personne ne pouvait imaginer ni déduire. Il sort tout droit de cette Sagesse de Dieu qui prend à revers les sages de ce monde, mais qui atteint les petits, les humbles, les croyants et qui les sauve. L'apôtre affiche Jésus crucifié comme l'expression inimaginable de l'amour de Dieu pour l'homme.


Attention au contresens

Quand nous entendons dire que, pour saint Paul, l'Évangile, c'est la croix du Christ et rien d'autre, nous risquons de commettre quelques sérieux contresens. Nous supposons un peu trop vite que Paul exalterait la souffrance et la mort pour elles-mêmes, pour faire un bel exemple de générosité, ou pire, parce qu'il faudrait à tout prix du sang et des larmes pour obtenir le pardon de Dieu. Rien de tel dans le discours de Paul. Il réagit contre une réduction de l'Évangile à une belle doctrine de sagesse, qui pourrait être l'objet de savants discours, tous plus intelligents les uns que les autres. Non, l'Évangile n'est pas une théorie religieuse, il est l'annonce d'un événement inouï, où se dévoile « le mystère de Dieu », le mystère de l'amour fou de Dieu. Dans le Christ crucifié, il est venu rejoindre l'homme au plus bas de l'échelle sociale, il est venu donner de l'importance aux « moins que rien », non pas pour les laisser dans quelque infériorité ou déchéance, mais au contraire pour les faire exister en Christ Jésus, participants de sa vie filiale et fraternelle. L'image de Dieu en est radicalement bouleversée, la sagesse humaine aussi.


Déroulement du discours

Voici comment se déroule la mise au point de Paul :

Il commence par évoquer la situation de compétition entre groupes corinthiens ; la lettre étant lue à haute voix dans la communauté réunie, ils s'entendent eux-mêmes dire : « Moi j'appartiens à Paul », et » moi à Kêphas », « et moi à Apollos... ». Après avoir montré l'inanité de ce tintamarre, du seul fait qu'aucune personnalité humaine ne peut revendiquer d'être à la place de Jésus-Christ, Paul affronte de face la déformation de l'Évangile qui est à la base de tels comportements : on prend l'Évangile pour un discours de sagesse, où chacun peut trouver son compte et se faire valoir devant les autres. Or l'Évangile est tout sauf sage. Ceux qui ne sont pas touchés par l'appel de Dieu n'y voient que niaiserie et insignifiance. Car il est l'annonce d'un crucifié. Paul va donc mettre le doigt sur ce paradoxe d'une révélation de la sagesse de Dieu et de sa puissance de salut :

Ø d'abord dans l'événement de la Croix lui-même,
Ø ensuite dans la naissance d'une Église à Corinthe.

Dans les deux cas, Dieu s'y est pris par les moyens fous et les moyens faibles, et c'est pourtant ce qui a réussi.

Conclusion : Paul pouvait-il s'y prendre autrement pour annoncer l'Évangile ?

1, 10-17 : Exposé de la situation ecclésiale et de ses enjeux.

1, 18-25 : L'événement de la Croix : comment Dieu s'y est pris pour sauver ?

1, 26-31 : Église de Corinthe, regarde comment Dieu t'a constituée.

2, 1-5 : Et moi, Paul, quel Evangile vous ai-je annoncé et comment ?


¨ Lexique :

* Apollos est un nouveau venu, un judéo-chrétien de la Diaspora d'Alexandrie, il est entraîné au maniement du discours de sagesse et doit exceller à faire le lien entre la culture grecque et la foi juive, et maintenant qu'il est devenu chrétien, avec l'Évangile (Ac 18, 24 - 19, 1). Il devait être, aux yeux des Corinthiens, le « concurrent » le plus sérieux de Paul, puisque le discours de l'Apôtre va porter expressément sur le discours de sagesse. Mais Paul l'estime (1 Co 16, 12).

* Baptême au Nom du Christ : formulation de type juif pour dire le transfert du baptisé à la personne du Christ, pour lui appartenir comme à son Seigneur et à son Sauveur. De son côté, le baptisé confesse sa foi dans le Seigneur Jésus et se réclame de Lui pour le salut. Les baptisés sont ceux qui "invoquent le Nom de N.S.J.C."
(1Co 1,22 ; Ac 22,16).


* Chloé : nom d'une femme (« verdure », « verdoyante », qualificatif de la déesse Démêter) qui devait diriger une entreprise commerciale entre Ephèse et Corinthe.

* Crispus : judéo-chrétien, chef de synagogue à Corinthe, converti par Paul (Ac 18,8)

* Croix : supplice barbare, d'origine perse, pratiqué aussi par les Juifs ; adopté par les Romains qui le réservaient aux révoltés et aux esclaves. CICERON : Pro Rabirio,5: "C'était un crime d'infliger le crucifiement à des citoyens romains. Le nom même de croix devait être écarté de leur pensée, de leurs yeux, de leurs oreilles" (vs). Paul en 1Co 2,2; Ga 3,1: "Christ crucifié a été affiché sous vos yeux". Paul est l'auteur du NT qui parle le plus souvent de la mort de Jésus en mettant l'accent sur le supplice de la crucifixion et en soulignant ce qu'elle comporte d'abaissement au niveau social le plus bas (Ph 2, 6-11).

* Discours, langage , parole : le même mot grec -logos- peut, selon le contexte, recevoir le sens de « langage » ou « discours », ou le sens de « parole », au sens biblique du terme : parole efficace qui fait ce qu’elle dit, parole-adressée-à. De 1, 17 à 1, 18 Paul passe intentionnellement du sens du « discours ou langage de sagesse » au sens de « la parole ou message de la croix ».

* Gaiüs : compagnon de voyage de Paul, Ac 19, 29; hôte de Paul et de toute l'Église à Corinthe (Rm 16, 23)

* Kêphas = Pierre est connu à Corinthe, peut-être y est-il passé ; il jouit du prestige du surnom (Roc) que lui a donné Jésus pour signifier sa responsabilité ecclésiale (Mt 16, 18-19) ; Paul connaît ce fait.

* sagesse : se réfère à la philosophie du monde grec, souvent vulgarisée par des philosophes ambulants, stoïciens, épicuriens (cf. Ac 17, 18) ; l’inspiration stoïcienne était dominante ; la sagesse est aussi l’apanage du judaïsme avec une dominante plus religieuse.

* Stephanas : la maison de Stéphanas (1 Co 16, 15. 17), premiers convertis de la province d'Achaïe, capitale Corinthe ; volontaires pour présider à l'Église de Corinthe ; écrivent à Paul et viennent le consulter à Ephèse.


¨Textes des Ecritures

Pour documenter la demande des signes par les Juifs (Ecclésiastique 36,2-9) :

Lève ta main contre les nations étrangères et qu'elles voient ta puissance.
Comme à leurs yeux tu t'es montré saint contre nous,
de même à nos yeux montre-toi grand contre eux.
Qu'elles te connaissent, comme nous avons connu,
qu'il n'y a pas d'autre Dieu que toi, Seigneur.
Renouvelle les prodiges et fais d'autres miracles,
glorifie ta main et ton bras droit,
réveille ta fureur, déverse ta colère,
détruis l'adversaire, anéantis l'ennemi,
hâte le temps, souviens-toi du serment,
que l'on célèbre tes hauts-faits.



II - ET MAINTENANT AU TEXTE

Relisez bien le début (1,10-17) : Qu'est-ce que Paul trouve le plus choquant dans la division des Corinthiens ? Quel lien Paul fait-il entre le baptême et la croix du Christ ?

En quoi « la croix du Christ » serait-elle réduite à néant par « la sagesse du langage » (1, 17) ?

Dans l'argumentation des v 18-25, repérez les différents groupes de personnes que Paul met en scène devant le message de la croix. Relevez les verbes qui les caractérisent. Qu'est-ce qui commande les prises de position des opposants ? En quoi sont-ils déroutés ?

Faites attention à ce que Paul dit au v 19 - 25 de la « stratégie » de Dieu pour conduire au salut : n'y a-t-il pas un tête-à-queue révélateur de la véritable image de Dieu ?

En quoi le choix de Dieu pour constituer une Église à Corinthe (1, 26- 31) s'accorde-t-il avec le choix de Dieu de sauver les croyants par la Croix ?



III - PISTES POUR ACTUALISER

Laisser le texte de Paul nous interroger dans notre monde face à l'Évangile, et nous dire son actualité.

A qui nous arrive-t-il de ressembler parmi les personnages de ce texte ?
«Scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs »

Qu'est-ce qui nous choque, nous aujourd’hui, à partir de notre mentalité, dans le message de la Croix ? Qu'est-ce qui est salutaire dans ce choc ?

Qu'est-ce que ce texte nous dit de l'identité de l'Evangile ? De la figure du Dieu de Jésus-Christ ?




IV - PISTES POUR LA PRIERE

Un refrain pour ouvrir le temps de prière :
« Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ,
Alléluia ! » (A. Gouzes)

DEUX CHANTS AU CHOIX (à chanter ou à méditer)


1er chant : Ce qu’il y a de fou dans le monde - Communauté du chemin neuf

Ce qu’il y a de fou dans le monde,
voilà ce que Dieu a choisi.
Ce qu’il y a de faible dans le monde,
voilà ce que Dieu a choisi !

Viens, Esprit de feu, viens Esprit d’amour,
Viens Esprit de Dieu, viens nous t’attendons !


2ème chant : Toi qui nous a créés - D. Rimaud/Ph. Robert - Ref. Signe musique n° 30

Toi qui nous a créés dans ton premier amour, O Seigneur
pour que nous devenions ton corps ressuscité et le vrai sanctuaire,
nous te louons ! nous te bénissons ! Nous te louons et nous te bénissons !

Refrain : Gloire à toi Messie crucifié !
Gloire à Toi, scandale et folie pour ce monde !
Gloire à Toi, messie crucifié !
Sagesse et Puissance de Dieu !

Toi qui nous a choisis
quand nous n’étions pourtant que pécheurs,
pour que nous devenions le temple de l’Esprit, fait de pierres vivantes,
Nous te louons ! nous te bénissons ! Nous te louons et nous te bénissons !

Toi qui nous as cherchés quand nous étions perdus loin de toi,
pour que nous devenions le peuple racheté, ton Eglise en ce monde,
Nous te louons ! nous te bénissons ! Nous te louons et nous te bénissons !

Toi qui nous as tirés de nos prisons d’exil et de mort,
pour que nous entonnions le chant des libérés en mémoire de Pâques.
Nous te louons ! nous te bénissons ! Nous te louons et nous te bénissons !

Relire un passage du texte : v 18-25
puis chacun redit tel verset, telle expression qui fait sens pour lui …

Introduction au Notre-Père : Seigneur Jésus, Messie crucifié, puissance et sagesse de Dieu, avec toi aujourd’hui, avec tous ceux que ne sont ni sages ni puissants aux yeux des hommes, nous prions le Père :

NOTRE PERE



FICHE DE TRAVAIL POUR LES ANIMATEURS


V - QUELQUES CLES DE LECTURE

1 - Les enjeux d'une Église divisée
(1,10-17)
(1, 10-17)
L'indignation de Paul se manifeste par des questions redoublées. Quelle image renvoie du Christ une Église divisée en se livrant au culte de la personnalité ? Est-il encore le véritable centre, Lui, le crucifié, lui au nom de qui seul on peut être baptisé, à qui seul on peut appartenir ? En effet le baptême n'a pas d'autre sens que de référer le croyant au Christ crucifié qui a donné sa vie pour lui, comme le montrent les questions parallèles : « est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? »

Paul a vite décelé derrière ces « courants » une déformation de l'Évangile et un déficit christologique. Chacun reconstruit l'Évangile à sa façon de la manière la plus séduisante et la plus recevable à son point de vue. Mais on perd de vue que l'Évangile n'est pas un beau discours religieux. C'est un événement, c'est une personne. C'est le message de la croix et la croix n'est pas un discours, ni un événement intégrable à un discours de sagesse. C'est pourquoi Paul a reçu la mission d'annoncer l'Evangile "sans la sagesse du langage », sans l'habileté d'un langage persuasif, mais par le paradoxe provoquant du message de la croix. D'un côté il n'y aurait que du « discours », du « langage » (17), de l'autre il y a une « parole » (18) qui atteint l'interlocuteur et le transforme s'il veut bien la recevoir.

Sans la sagesse du langage , pour que ne soit pas "vidée" la croix du Christ". Mot très fort : la croix du Christ ne doit pas être vidée de son importance, de sa signification unique et décisive pour le salut. Il ne faut pas que soit vidé ce vide qu'est la croix en le remplaçant par quelque importance humaine que ce soit. Il est impliqué dans la phrase de Paul qu'une annonce de l'Évangile qui utiliserait les artifices du discours, et même les ressources de la "sagesse", ferait écran à son véritable contenu et se substituerait à la croix du Christ comme source unique de salut. Ce qui est mis en question, ce n'est pas seulement l'habileté du discours, c'est la possibilité de rendre compte de l'Évangile par une présentation satisfaisante aux yeux de la sagesse humaine.


2 – Le choix de Dieu de réaliser le salut par la Croix (1, 18-25)* Un constat : le double effet de l'annonce évangélique (18)

Paul commence par constater la force de salut qui émane de « la Parole de la Croix ». L'événement de la Croix a besoin d'être porté à la parole, pour en proclamer le sens. Ce n'est pas la croix matériellement prise qui sauve, c'est la croix annoncée, proclamée comme acte de Dieu en vue du salut. Il ne s'agit pas d'un « discours », mais d'un message qui percute l'existence. Certes il y a ceux qui continuent de se perdre en marginalisant cette parole comme une ineptie, mais il y a ceux qui se mettent sur la voie du salut en la recevant par la foi (1, 18). Paul parle de « ceux qui sont sauvés », au sens de « ceux qui sont en voie d'être sauvés » par leur accueil de l'Évangile.

* L'éclairage de l'Écriture (19-20)

Pour éclairer ce constat, Paul recourt à l'Écriture (1, 19 = Is 29,14; Ps 33, 10), où l'on voit déjà que Dieu prend de court les prétendus sages par son oeuvre à lui, étrange, déconcertante. Il n'est pas conforme à ce que l'on croirait attendre d'un Dieu, mais c'est justement le signe de sa transcendance au cœur de l'histoire. Alors aujourd'hui, devant le Christ crucifié, est-il surprenant que toutes les espèces de sages, aussi bien les lettrés du judaïsme que les sophistes du monde grec, soient aux « abonnés absents » (1, 20)?

* La stratégie divine (21)

Dieu a décidé en effet de se passer du service de la sagesse. Il l'a décidé dans sa Sagesse à Lui, devant l'échec du monde à le connaître par les voies de la sagesse, c'est-à-dire par les signes de la création (Sg 13, 1). Le monde aurait dû connaître Dieu par les voies de la sagesse, mais il ne l'a pas fait, il n'est pas allé jusqu'à une « re-connaissance » existentielle qui l'aurait mis en rapport avec Lui (cf. Rm 1, 19-21). Alors Dieu a repris l'initiative et il a inversé le mouvement. Le texte de Paul nous met devant un véritable tête-à-queue :

Puisque, dans la Sagesse de Dieu,
(c'est-à-dire selon la sage disposition divine sur l'histoire du salut)
le monde
n'a pas connu
par la sagesse
Dieu,
Dieu a jugé bon
par la folie du message
de sauver
les croyantsCe n'est plus le monde qui va vers Dieu, c'est Dieu qui vient vers l'homme. Il y vient, cette fois, non plus par des chemins de sagesse, mais par la folie du message en la personne du Christ crucifié. C'est ainsi qu'il se révèle comme capable de sauver les croyants (1, 21). Et ne parlons plus seulement de « connaissance », mais de « salut ». Ne parlons plus seulement de « sagesse », mais de « puissance ».
Ce « tête-à-queue » n'est pas une incohérence. Il relève de la Sagesse de Dieu, qui respectant la liberté humaine, s'expose à l'échec, mais qui a prévu de rebondir sur cet échec pour aboutir au salut par des chemins imprévus. Cette sagesse et cette puissance n'ont rien de commun avec ce que le langage humain met habituellement sous ces mots. Quand il s'agit de la sagesse et de la puissance de Dieu, il vaut mieux parler de folie et de faiblesse, car alors on ne saurait les confondre avec la sagesse et la puissance des hommes. C'est bien justement faiblesse et folie qui ont été dans le Christ crucifié, la révélation de la puissance et de la sagesse de Dieu.

* Trois verbes, trois prises de position devant la Croix

Devant cette stratégie divine, Paul campe les réactions humaines. Trois groupes, trois verbes : les Juifs « demandent »; les Grecs « cherchent »; nous, les croyants de l'Évangile, soit juifs, soit Grecs : « nous proclamons ». Cette typologie est pertinente. Pour Paul le message de la Croix met en question les deux grandes fractions de l'humanité selon la représentation du judaïsme auquel émarge Paul : les Juifs et les Nations, ici les Grecs comme les représentants les plus qualifiés du monde cultivé (face aux barbares).

Les Juifs demandent des signes

En effet la caractéristique des Juifs est de compter sur la puissance de Dieu, du Dieu de l'Exode, de celui dont le bras n'est pas trop court pour sauver son peuple et son messie par des signes et des prodiges. Quand ils lui demandent des « signes », ce n'est pas forcément par incrédulité (comme les Pharisiens de l'évangile), au contraire ce peut être parce qu'ils ont une haute idée de sa puissance face à toutes les oppositions de ce monde à son dessein. Voir la prière de Ben Sirah, l‘Ecclésiastique 36,2-9, citée dans « Pour Lire ». Ils attendent que se renouvellent ses merveilles pour se révéler au monde comme le seul Dieu véritable.

Ils « demandent », ils sont des mendiants de Dieu. C'est beau ; mais que leur faut-il mendier ? Là est la question, à laquelle la Croix répond autrement. Ils le savaient et ils le savent encore dans leur histoire[2], mais la croix sera toujours déroutante. Elle est un « scandale », c'est-à-dire un obstacle sur le chemin, auquel on achoppe. Un Christ crucifié : il y a là une prise de position polémique sur l'identité du véritable Christ, du véritable Messie, du Christ de Dieu : de celui qui, dans l'espérance d'Israël, devait procurer la libération et le salut. Paul nous met ici devant le même conflit d'interprétation que celui qui se reflète dans le récit évangélique : lorsque Pierre vient de professer au nom du groupe des disciples : Tu es le Christ. Mais quel Christ ? C'est alors que Jésus commença de leur enseigner qu'il fallait que le Fils de l'Homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté, mis à mort ... avant de ressusciter. Pierre ne comprend pas, il repousse vivement cette figure du Christ, mais Jésus le réprimande : il traite Pierre de Satan, ses vues sont tout humaines, elles ne sont pas celles de Dieu (Mc 8,27-33). Le scandale de Pierre devant cette annonce de Jésus dans le récit évangélique est typique du scandale du Juif devant le message de la Croix dans l'annonce apostolique.

Les Grecs cherchent

Quant aux Grecs, ils ne prient pas, ils « cherchent »; ils font fonctionner leur intelligence pour comprendre le monde, pour atteindre la sagesse, pour contempler ce qui est beau et s'unir au divin. Mais en quoi la vue d'un crucifié pourrait-il les y conduire ? Pour un Cicéron, c'est une image tellement horrible qu'il ne faut même pas la mettre sous les yeux d'un citoyen romain. « Crucifié » et « divin » sont incompatibles. « Evénement singulier » et « sagesse » sont incompatibles. Car ce n'est intégrable à aucun système, à aucune synthèse. Un événement reste un événement, aurait-il en lui-même un message à livrer ? Accorder une importance à un fait divers comme l'exécution d'un crucifié ne peut avoir aucun rapport avec la recherche de la sagesse. Peut-être un exemple de patience ? Mais y voir la source d'un salut ? C'est bien plutôt une ineptie.



Nous proclamons :

Nous, c'est-à-dire à la fois nous les apôtres et tous les croyants de l'Évangile, d'entre les Juifs et d'entre les Nations, nous proclamons, nous ne pouvons que proclamer ; car il ne s'agit pas d'une théorie, mais d'un événement singulier dans lequel Dieu s'est révélé. Israël le sait, Dieu se révèle dans l'histoire. Nous ne pouvons le déduire de rien, nous ne pouvons qu'en prendre acte et en témoigner, quand Dieu se dit dans un Messie crucifié. Dieu est venu à l'homme dans cet événement. Et certes, on n'a pas fini de comprendre ce qu'il signifie; en bien d'autres passages de ses lettres, Paul exalte l'amour de Dieu qui s'est révélé dans la Croix du Christ. Ce Christ crucifié se révèle être à la fois puissance et sagesse de Dieu aussi bien pour les Juifs que pour les Grecs (réunis cette fois dans la même expérience) à partir des fruits de la proclamation évangélique (signe de sa résurrection, Paul ne le dit pas ici, mais il en est convaincu).



3 – La convocation d'une Église à Corinthe (1, 26-31)A côté de la Croix, à l'ombre de la Croix, dans le discours de Paul, se tient l'Église. Paul continue de déployer sous les yeux des Corinthiens la stratégie divine. Il les invite à regarder comment Dieu, par son appel, par son élection, a constitué leur Église. Regardez qui vous êtes. Par trois fois Paul répète « Dieu a choisi », « Dieu a choisi », « Dieu a choisi ». De même qu'il avait jugé bon de sauver les croyants par la folie du message, de même il a choisi d'appeler à constituer son Église ce qui « n'existe pas ». Tous les « sans » : les sans culture, les sans pouvoir, les sans naissance. Certes il y en a quelques autres, mais pas beaucoup. Ce choix est provocant. Sa logique est de relativiser, et même de réduire à néant, les prétentions de quiconque s'imaginerait être au niveau du don de Dieu. Celui-ci est sans proportion avec quelque qualification humaine que ce soit. Certes tout croyant authentique en a conscience, mais cela devient plus visible et plus sensible quand l'existence chrétienne surgit là où on ne l'attendait pas : sous la figure de l'insignifiance sociale. C'est la même stratégie de victoire de la puissance et de la sagesse divines que dans la croix du Christ. Là aussi Dieu s'y prend par les moyens faibles et les moyens fous. Mais alors personne n'ira faire le fier devant Dieu. Tous vous reconnaîtrez que c'est de par Dieu, de par la grâce de Dieu, que vous « existez en Christ Jésus ». Vous qui avez tant soif d'existence sociale reconnue, comprenez que vous « existez », quand vous êtes appelés à entrer en communion avec le Christ, « qui est devenu pour nous (dans l'événement pascal) sagesse et justice et sanctification et rédemption ». Le mouvement amplifié de la péroraison se termine par une citation de l'Écriture empruntée à Jérémie. Le prophète dénonçait déjà l'assurance en soi-même en des termes très proches de ceux de Paul (sagesse, pouvoir, richesse): « Que le fier mette sa fierté dans le Seigneur » (Jr 9, 22).






4 - Le ministère apostolique de Paul à Corinthe
(2, 1-5)Après un tel parcours, Paul n'a aucune peine à montrer qu'il ne pouvait pas faire autrement, et qu'il n'a pas fait autrement, que de mettre ses pas dans les pas de Dieu, quand il est venu annoncer l'Évangile à Corinthe. Il le dit en référant son action à Dieu, au Christ et à l'Esprit.

A Dieu (le Père) : il n'a pas annoncé « le mystère de Dieu » - ce secret bien caché en Dieu qui devait se révéler dans la croix du Christ - avec le prestige du langage ou de la sagesse.
Au Christ : « je n'ai voulu savoir parmi vous que Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié » ; certes il a bien annoncé sa résurrection mais comme la glorification du Crucifié. Concentration extraordinaire du message sur la Croix.
Enfin relativement à l'Esprit : il n'a pas fait écran par les discours persuasifs de la sagesse à celui qui, seul, est à l'origine de la foi : l'Esprit saint. L'annonce de l'Évangile s'est faite dans « une démonstration d'Esprit, de puissance », autrement dit une manifestation de la puissance de l'Esprit; c'est-à-dire, comme en 1 Th 1, 5, grâce à l'assurance que donnait l'Esprit pour annoncer un tel Evangile, humainement si déroutant, et grâce à l'accueil que ce même Esprit suscitait chez les auditeurs de ce message. Autrement la foi reposerait sur des techniques humaines, et pas sur la puissance de Dieu, et alors elle ne serait pas fondée. Paul passe encore ici, en finale, du registre du discours au registre de l'acte, du registre de la sagesse au registre de la puissance. Car encore une fois l'Évangile est événement.






[1] Traduction TOB modifiée P.B.
[2]"Les SS pendirent deux Juifs et un adolescent devant les hommes du camp, rassemblés. Les hommes moururent rapidement, l'agonie de l'adolescent dura une demi-heure. "Où est Dieu? où est-il?" demanda quelqu'un derrière moi. Comme l'adolescent se débattait encore au bout de la corde, j'entendis l'homme appeler de nouveau: "Où est Dieu maintenant?. Et j'entendis une voix répondre en moi: Où est-il? Il est ici...Il est pendu au gibet". (Elie WIESEL,cité par Moltmann, Le Dieu crucifié, p 319). Texte révélateur à double titre: parce qu'il exprime bien la portée positive de cette demande de signes : où est Dieu? le silence de Dieu est-il supportable devant une oppression qui passe la mesure? - et parce qu'il exprime une réponse qui est déjà celle du message de la Croix, ce qui montre bien qu'il y a déjà dans la foi juive de quoi accueillir le message de la croix. Dans la théologie juive de la Shekinah (l'Habitation divine), le Dieu d'Israël se révèle comme celui qui communie à la détresse de son peuple, à son exil, à ses souffrances

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